Épisode 1 : Anne Méziat-Burdin

Episode 1 December 03, 2024 00:42:52
Épisode 1 : Anne Méziat-Burdin
La chirurgie au féminin
Épisode 1 : Anne Méziat-Burdin

Dec 03 2024 | 00:42:52

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Show Notes

Dans cet épisode, nous avons invité Anne Méziat-Burdin, une chirurgienne générale pratiquante au CHUS. Nous avons discuté de plusieurs sujets tels que les différences entre les études médicales en France et au Canada, ainsi que le rôle d’un médecin participant à des missions avec la Croix Rouge. Bonne écoute!

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Episode Transcript

[00:00:00] Speaker A: Le balado que tu t'apprêtes à écouter, tu peux pas l'entendre ailleurs. C'est une exclusivité. Bonjour à tous et à toutes et bienvenue à notre premier épisode avec une invitée. Aujourd'hui, nous avons la chance de discuter avec Anne-Mézia Burdin, une chirurgienne générale et professeure ici à l'Université de Sherbrooke. Elle est aussi chirurgienne pour la Croix-Rouge qui a un parcours tout à fait extraordinaire. Que ce soit avec ses patients de Sherbrooke ou dans ses missions à travers le monde, elle garde un modèle d'inspiration qui, l'on espère, saura capter votre attention autant que la nôtre. [00:00:30] Speaker B: Donc nous avons connu le docteur Mezia au courant d'une conférence de santé mondiale et nous voulons également remercier le comité d'intérêt qui a organisé cette dernière. [00:00:40] Speaker A: Des histoires de détermination et d'excellence, passons le micro aux femmes chirurgiennes qui travaillent acharnement tous les jours pour nous tous. Bonne écoute. [00:01:07] Speaker B: Bonjour Docteur Mezia, c'est super de vous avoir ici. On est très heureuse de nous compter parmi notre premier invité à notre podcast. Donc, on aimerait ça commencer par votre parcours scolaire. Comment vous êtes arrivé ici en tant que chirurgien général? [00:01:24] Speaker C: Je suis d'origine française. J'ai fait un parcours scolaire français secondaire qui ressemble de très proche au parcours québécois. Je suis rentrée en médecine avec l'intention d'être médecin sans frontières. C'était ma motivation pour rentrer en médecine. J'ai ensuite opté pour une carrière en chirurgie et j'ai été formée en chirurgie générale et j'ai fait un fellow de trois ans en transplantation hépatique, chirurgie pancréatique et hépatobiliaire. Par la suite, j'avais l'intention de faire une carrière universitaire, donc d'être professeure. Et en France, pour faire ce genre de carrière, il faut un an de délocalisation à l'étranger, aller chercher de l'expérience et faire un PhD, un post-doc. J'ai commencé la démarche, puis finalement je suis venue au Québec et je suis restée au Québec. Voilà. Qu'est-ce qui vous a fait rester au Québec? La facilité d'accès aux carrières universitaires, très très honnêtement. En France, c'est quelque chose qui est compliqué, très contingenté, très difficile d'accès si on veut être professeur. Donc, la facilité d'accès ici a été un argument de poids. [00:03:07] Speaker D: Quand vous dites qu'au départ, vous vouliez rentrer en médecine pour devenir médecin sans frontières, ça venait d'où cet intérêt-là, avant même d'être en médecine? [00:03:18] Speaker C: J'en ai aucune idée. Très honnêtement, c'est souvent des questions qu'on me pose, mais pourquoi? Puis en fait, au fil du temps, l'humanitaire en général, pas tout simplement un médecin sans frontières ou la chirurgie à l'étranger. Toute la portion humaine est pour moi une part intégrante de ma vie de tous les jours, donc que ce soit à l'étranger ou ici. je ne peux pas vivre sans cet élément-là. Donc, la réponse, je n'en sais rien, mais sans ça, je ne donne pas de sens à ce que je fais. [00:03:57] Speaker D: OK, je vois. Puis dans le fond, ce côté humain-là, est-ce que vous avez l'impression qu'en chirurgie, c'est plus difficile de l'avoir, puis c'est pour ça que vous allez chercher ça un peu avec l'humanitaire? [00:04:09] Speaker C: Non. Il y a probablement une mauvaise connaissance de ce que c'est la chirurgie. On a l'impression que le chirurgien, il voit son patient une fois, il l'opère, il ne le revoit plus jamais. Puis en fait, le contrat de confiance qu'on doit établir avec un patient pour obtenir son autorisation pour l'opérer, c'est tout un contrat. Parce que pendant qu'on va travailler, il va dormir, il doit nous faire une confiance totale. Et en fait, on a des liens de proximité avec nos patients qui sont certainement plus forts qu'un médecin. médecine interne, pour prendre un exemple, peut probablement obtenir. Il y a certainement des patients suivis en médecine pour lesquels les liens sont très, très forts, mais en chirurgie, c'est obligatoire. Donc, non. Au contraire. [00:05:06] Speaker D: OK. Oui, c'est vrai que c'est intéressant de le voir de ce côté-là parce que je pense vraiment que c'est un mythe de la chirurgie que quand tu n'aimes pas ça voir du monde, tu vas en chirurgie, mais c'est vraiment pas la réalité. [00:05:18] Speaker C: Non. L'autre élément intéressant de la chirurgie, c'est que dans nos mains, on a la possibilité d'avoir le traitement. Donc c'est sûr qu'on donne congé à nos patients. Ce n'est pas des suivis longitudinaux d'insuffisance cardiaque ou d'insuffisance rénale qui peuvent être très longs. Il y a dans certains cas des suivis très très longs, mais c'est aussi très intéressant de dire aux patients Vous êtes guéri, rentrez chez vous. Puis on met fin à cette relation de soins, mais c'est très fort. C'est très, très fort. [00:05:56] Speaker B: Puis dans la chirurgie, qu'est-ce qui vous a fait choisir la chirurgie générale plus précisément? [00:06:00] Speaker C: La possibilité de partir en mission. Parce que des sur-spécialités comme... Je prends des exemples complètement aux arts, mais neurochirurgie, chirurgie urologique, par exemple, ils peuvent faire des missions à l'étranger en urologie, par exemple. Si on prend cet exemple-là, en Afrique, il y a un besoin immense pour des patientes qui ont des fistules urogenitales suite à des accouchements qui se sont mal passés. On appelle ces patientes-là des fistuleuses. Elles ont une fistule urogénitale et elles perdent leurs urines constamment. Elles sont incontinentes. Ce sont des patientes qui n'ont plus de vie dans leur village, qui sont réunies dans des villages où elles sont regroupées en attente éventuellement d'un miracle. et d'un chirurgien qui viendrait les aider. Donc, il y a des urologues, il y a des gynécologues qui pratiquent ce genre de chirurgie. Donc, dans des surspécialités, on peut tout à fait envisager de partir en mission, mais la chirurgie générale permet un éventail plus large de possibilités. C'est vraiment la raison de mon choix. [00:07:25] Speaker B: Je comprends. [00:07:26] Speaker D: OK. Puis, on veut faire un peu le pont, d'ailleurs, avec votre expérience en santé mondiale. Est-ce que, pour commencer, vous voudriez juste nous parler un peu de certaines missions que vous avez faites, peut-être les plus importantes que vous avez faites? [00:07:42] Speaker C: J'en ai fait beaucoup, très, très, très varié. J'ai été déployée avec la Croix-Rouge internationale. Mais en fait, en termes de missions importantes, j'ai fait des missions toutes seules avec des religieuses. En Égypte, par exemple, j'ai travaillé dans une léproserie dans le désert du Sinaï. J'ai fait une mission d'un an avec la coopération française en Mauritanie. Puis c'est la collecte de toute cette expérience qui m'a permis actuellement de pouvoir être déployée n'importe où, d'être en mesure de prendre des décisions de qu'est-ce que je suis capable de faire, qu'est-ce qu'il faut faire en fonction des conditions dans lesquelles on est. Donc, écoute, beaucoup, beaucoup de missions. Très, très, très variées. On finit par bâtir mon expérience. [00:08:41] Speaker D: Puis ici, on a vu que vous avez déjà travaillé auprès de Mère Thérésa. Est-ce que vous voulez nous parler un peu de cette expérience-là? [00:08:48] Speaker C: Oui, j'ai travaillé pendant sept ans avec les missionnaires de la Charité pendant mes études de médecine, en fait. Donc, tous les étés, la France offre un autre agenda scolaire que ce qu'on peut voir ici à Sherbrooke, en particulier, avec trois mois d'arrêt des cours pendant l'été, ce qui me permettait, dès la fin des examens, de quitter pour l'Inde. Donc j'ai fait ma première mission à 18 ans, j'ai fêté mes 18 ans en Inde. C'est une très belle phase. Donc première mission à Delhi. J'étais un peu effrayée à 18 ans de partir à Calcutta. Mère Teresa était à Calcutta, origine des Missionnaires de la Charité. Mais je trouvais que c'était une ville effrayante. Je ne connaissais pas l'Inde. Donc j'ai fait le choix d'aller à Delhi, travailler dans un orphelinat. Parce qu'à 18 ans, première année de médecine, je ne connaissais rien. C'est souvent quelque chose que je mentionne. On peut partir et être utile dans des circonstances qui ne sont pas des circonstances de soins. Donc là, je jouais avec les enfants, je leur donnais à manger, je faisais la lessive. Ça m'a permis de comprendre un peu ce qu'étaient les missionnaires de la charité et comment fonctionnait l'orphelinat en question. En fait, il faut savoir qu'en Inde, il n'est pas bien vu, ou il n'était pas bien vu, parce qu'actuellement, je ne peux pas bien dire où est-ce qu'on en est, mais à l'époque, il n'était pas bien vu d'être enceinte sans être marié. Donc, les jeunes femmes enceintes venaient faire passer leur grossesse à l'orphelinat. Pendant qu'elle attendait d'accoucher, elle participait aux travaux de l'orphelinat en question, puis elles accouchaient et laissaient l'enfant et repartaient dans leur village. Pour sauver finalement leur réputation, la réputation de la famille, puis pouvoir poursuivre leur vie. Donc, j'ai travaillé là une année. Par la suite, l'année suivante, j'ai été à Calcutta. Puis là, en fait, je participais à deux missions. J'étais soit à l'orphelinat, soit à la léproserie, soit au mouroir de Calcutta. Puis j'ai rencontré dans l'orphelinat un médecin, docteur Kundu, qui était un pédiatre, chef du service de pédiatrie de l'hôpital général de Calcutta. Puis lui montait un projet dans une des banlieues les plus pauvres de Calcutta. qui était un hôpital pour enfants. Je me suis joint à lui, puis pendant six ans, j'ai participé à la mise en place et au fonctionnement de cet hôpital-là, et aux soins avec les missionnaires de la charité. [00:11:56] Speaker D: OK. Puis pendant ces six ans-là, vous faisiez votre médecine aussi? [00:12:00] Speaker C: Exactement. Et pendant que j'étais en France en train de faire ma médecine, je collectais de l'argent pour le petit hôpital de Docteur Kundu, qui s'appelle encore parce que sa fille a repris la suite. Cet hôpital s'appelle Little Love. OK. [00:12:19] Speaker B: C'est ça. C'est un bon nom. Oui. Puis là, vous parlez de pendant vos études en médecine. Comment au Québec vous avez fait pour aller... comment vous avez fait pour aller en mission humanitaire? [00:12:32] Speaker C: Ah, c'est grâce à mes collègues. En fait, il faut, lorsqu'on a cette motivation-là, être capable de quitter. On a des patients, des gardes, une activité professionnelle qui est un temps plein. J'avais, lorsque je suis arrivée ici à Sherbrooke, mentionné à mes collègues mon intérêt pour ce genre de mission, puis mon obligation. Je ne peux pas penser, pas forcément partir, mais ne pas m'impliquer. Donc, mes collègues ont accepté de me remplacer aux pieds levés lorsque l'appel téléphonique arrive pour me dire qu'il y a une mission au Bangladesh, en Syrie, quelque part dans le monde. Le départ est immédiat. Donc, il m'est arrivé de laisser ma garde, mes patients, mes salles d'opération. C'est vraiment grâce à mes collègues que j'ai pu faire ça. [00:13:32] Speaker B: Donc, est-ce que vous diriez que pour faire des missions humanitaires, il faut presque obligatoirement avoir une équipe très conciliante autour de soi? [00:13:39] Speaker C: Ah bien, je pense que c'est absolument indispensable. En tout cas, moi, j'ai une... responsabilité immense par rapport à mes patients, puis ils priment par rapport à tout autre engagement, donc oui, absolument. [00:13:56] Speaker D: Donc, ce serait plus difficile, si je comprends bien, de faire ces missions-là si on travaille dans un département plus petit. La chirurgie générale, c'est quand même un gros département, donc ça vous permet de faire ça, mais si je comprends bien, ce ne serait pas n'importe quel département où on pourrait faire ça. [00:14:15] Speaker C: À ce moment-là, il faut le planifier. Il y a des départs... Tu sais, une mission... Je vais prendre un exemple. Je suis partie travailler auprès des Rohingyas au Bangladesh, des réfugiés Rohingyas au Bangladesh. C'est des missions de long terme. La Croix-Rouge était là depuis un an. Donc, en fait, il y a un appel. On sait, quand on est membre de la Croix-Rouge, on connaît les missions. Donc il peut y avoir appel à participation à cette mission-là pendant six semaines, pendant un jour ou pendant six mois. J'ai été à la frontière avec la Syrie. travaillé justement pendant la guerre en Syrie. Et bien, j'avais planifié mon départ pour trois mois plus tard. C'était un camp, une installation permanente de la Croix-Rouge. Et j'ai fait mention à la Croix-Rouge que moi, je vais être disponible au mois de juin. Puis dans ce temps-là, ça me laisse le temps d'organiser mes gardes, mes patients, etc., etc. Donc, à mon avis, la journée où tu es vraiment motivée, tout se peut. Mais il ne faut pas non plus mettre tout le monde dans l'embarras parce qu'à ce moment-là, je pense que tu vas partir une fois. [00:15:29] Speaker D: Oui, c'est ça. [00:15:29] Speaker B: Puis, est-ce que vous pouvez nous expliquer brièvement comment fonctionne le concept de la Croix-Rouge lorsque vous recevez un appel? Nous, on vous a connus avec une conférence de santé mondiale, mais on aimerait ça que tous nos auditrices et auditeurs puissent connaître un petit peu le processus. [00:15:48] Speaker C: Je vais parler de ce que je connais, parce qu'il y a plein de façons d'être impliqué à la Croix-Rouge. Il y a des missions de très long terme, comme chef de mission. On peut partir six mois, on peut partir un an. Moi, je fais partie d'une équipe très spécifique qui s'appelle les équipes de réponse d'urgence de la Croix-Rouge. Donc, c'est des missions de quatre à six semaines. On est en permanence déployable. Donc, il y a une plateforme à la Croix-Rouge où on donne nos périodes de disponibilité ou nos moments où c'est même pas la peine de nous appeler, on ne pourra pas partir. Exemple, mois de juillet, la moitié de mes collègues sont en congé. Moi, j'ai une semaine de garde. je vais me mettre off sur le calendrier de la Croix-Rose. Puis, étant déployable, on est vacciné en permanence pour toutes les maladies possibles, imaginables du monde entier. Je pense que j'ai été très longtemps la personne la plus vaccinée de l'estrie. [00:16:57] Speaker B: C'est vrai que ça doit être beaucoup d'accès, ça. [00:16:59] Speaker C: Voilà. Donc, eux, ils tiennent un registre de notre dossier santé pour être certains qu'on puisse être déployable. Donc, ça, c'est tout ce qui se fait en amont de la journée du départ. Lorsqu'on veut participer à ces missions, on a des formations spécifiques où on nous enseigne un peu c'est quoi la philosophie de la Croix-Rouge. La philosophie numéro un, c'est la neutralité de la Croix-Rouge. Aucun jugement. On soigne tout le monde. Agresseurs agressés. C'est ce qui nous permet dans certains cas de rester sur place Ça, c'est un dilemme parfois, mais si on veut s'occuper des populations les plus démunies, il faut parfois accepter les règles de l'organisation dans laquelle on travaille. Si on est contestataire, on ne peut pas faire partie de la Croix-Rouge. Puis je pense Médecins sans frontières, c'est la même chose. On peut débattre entre nous, mais en fait, c'est cette organisation-là qui existe de très longue date qui a mis les bases. Donc, on est formés, on est quand même sélectionnés. Ils recrutent des gens qui travaillent en équipe et qui acceptent cette espèce de règle obligatoire de neutralité de la Croix-Rouge. Donc une fois qu'on est prêt, qu'on fait partie des équipes, on reçoit régulièrement les messages de départ potentiel. Puis là, on reçoit textos, appels téléphoniques, courriels, tout par en même temps, déploiements nécessaires en Haïti, mettons, ou quelque part dans le monde, sous 24 à 48 heures. Si on lève la main, on est oui ou non sélectionné. et on est briefé à Ottawa, qui est le siège social de la Croix-Rouge. Ils nous donnent nos visas, nos passeports, notre billet d'avion. Puis là, en fait, on rejoint sur place une équipe qui se constitue à l'échelle de toutes les Croix-Rouges internationales. Donc, je peux reprendre l'exemple du Bangladesh. Je suis partie toute seule avec ma petite valise. J'ai fait Drummondville, Ottawa en train. Ottawa, Boston. Boston, Doha. Au Qatar. Doha, Dhaka. au Bangladesh, Dhaka, Cox's Bazar, à la frontière avec le Myanmar. Puis une fois arrivé à Cox's Bazar, bien là, il y avait une Jeep qui m'attendait pour m'amener dans le fameux camp de réfugiés. Très long voyage. [00:19:50] Speaker B: C'est énormément de dépassements. [00:19:53] Speaker C: Voilà, mais c'est comme ça. Donc, pas perdre sa valise, pas perdre son matériel. On a une malle qui nous est attribuée par la Croix-Rouge dans laquelle on a du matériel pour être autonome. On nous demande d'être autonome 24-48 heures quand on arrive, avoir de quoi se nourrir, son couchage, ses affaires. Parce que dans certains cas, on arrive, c'est l'installation de l'hôpital. Moi, comme chirurgienne, il faut que j'aille en hôpital. Ça ne sert à rien qu'on me déploie et que je n'ai pas d'eau, pas d'électricité. La première personne qui va franchir la porte de l'hôpital, c'est probablement une femme enceinte qui vient accoucher. Elle était enceinte la veille du conflit, puis on ne retardera pas son accouchement. Donc, la journée de l'installation, on débarque toute une équipe, mais l'équipe, elle peut arriver du monde entier. Dans mon équipe de chirurgiens et personnels du bloc opératoire, j'avais un infirmier qui arrivait de Hong Kong, un anesthésiste qui arrivait d'Autriche, une autre anesthésiste qui était japonaise, deux infirmières finlandaises. Puis on est tous arrivés avec notre petite valise à Cox's Bazar, ayant fait chacun un bout de chemin. Puis ensuite, on reste quatre à six semaines selon la possibilité d'être remplacés ou pas. un élément à connaître, c'est qu'on est tout seul, c'est-à-dire que quatre à six semaines, il y a un chirurgien. On n'est pas assez nombreux pour être des équipes de deux, trois chirurgiens. OK. [00:21:35] Speaker B: Donc, comment ça se... Est-ce que vous dormez? Comment ça se passe? Vous êtes comme des gardes de jour, en fait. [00:21:41] Speaker C: On est de garde tout le temps. OK. Puis ça dépend un peu du genre d'hôpital. Au Bangladesh, c'était le plus gros camp de réfugiés au monde. 1,2 million de personnes réfugiées à l'époque. Et la Croix-Rouge, en fait, les grandes associations se répartissent les spécialités. La Croix-Rouge était responsable des urgences chirurgicales. C'était un hôpital chirurgical. MSF avait la pédiatrie. Donc, je recevais toutes les urgences chirurgicales du camp. C'est beaucoup, oui. [00:22:22] Speaker B: Ça, ça doit être. Puis comment, en fait, comment vous arrivez à balancer tout ça? Est-ce qu'en revenant à votre retour au Québec, vous avez du repos ou le travail au Québec repart tout de suite après? [00:22:35] Speaker C: C'est l'organisation de chacun, mais quand t'es parti 4 à 6 semaines, tu reprends tout de suite. Puis je pense que c'est aussi bien de retourner travailler. C'est sûr qu'il y a un petit gap entre certaines impatiences qu'on peut vivre ici. Mais à l'heure d'aujourd'hui, je suis assez... pour être capable de faire la grande enjambée entre des soins sous une tente, en situation catastrophique, puis des soins au CHU à Sherbrooke. [00:23:16] Speaker B: Vous êtes très polyvalente. [00:23:18] Speaker C: Oui. [00:23:19] Speaker D: Puis justement, à travers ces missions-là, vous devez faire face à comme la détresse humaine très importante. C'est comment de... D'un jour à l'autre, d'arriver là-dedans, puis après de revenir dans la réalité du Québec, est-ce que c'est difficile au niveau psychologique? [00:23:36] Speaker C: En fait, il faut admettre que bien les personnes qui sont ici ne savent absolument pas d'où on arrive et eux, ils ont continué leur vie. Alors j'ai plusieurs exemples de situations incroyables où bien je suis rentrée de Syrie où j'ai vu vraiment des... c'est toujours des femmes et des enfants qu'on voit, les hommes sont... sur le champ de bataille ou au travail ou pas là, ou en tout cas... Des femmes mutilées, les bras coupés, les bras cassés. En tout cas, j'ai vu des choses, des horreurs épouvantables. Puis j'arrive, après six semaines, mon voisin m'accueille en me disant, oh, t'étais pas là ces temps-ci? C'était au mois de juin. Cette année, c'est incroyable le nombre de pissants-lits que j'ai dans mon gazon. Alors, il y est pour rien, il y a des pistes en ligne, c'est vraiment, vraiment triste. Tant mieux pour les abeilles. Mais tu ne peux pas le critiquer puis lui dire, ben voyons. Il écoute la télévision ou la radio, il sait qu'il y a un conflit en Syrie, lui aussi. Mais ce qui était important cette journée-là. [00:24:58] Speaker B: Pour lui. [00:25:00] Speaker C: C'était l'épice en lait. Puis j'en ai vu plein. J'ai une patiente, malheureusement, qui a fait les frais d'un retour d'Haïti. Je suis partie en Haïti avec des collègues de Sherbrooke. Et quand on est rentrés, j'étais en clinique externe et une patiente... Ça devait être le lendemain ou le surlendemain de notre retour. La patiente m'expliquait combien elle trouvait que sa cicatrice était laide. Malheureusement, je lui ai dit que ce n'était pas une bonne journée pour m'expliquer ça et qu'elle allait devoir vivre avec. Donc c'est sûr qu'il y a des jours, c'est plus facile que d'autres. Mais il faut prendre sur nous parce que nos amis, nos collègues, les voisins, ils y sont pour rien. C'est mon choix de partir. Ils ne sont pas responsables de ce qui se passe. Oui. [00:25:59] Speaker D: C'est sûr que pour vous, par contre, j'imagine que ça fait vraiment une grande différence depuis que vous faites de l'humanitaire. J'imagine que ça change la façon dont vous voyez les choses personnellement dans votre vie, puis qu'il y a des choses comme les pistes en lits qui doivent vraiment moins vous déranger. [00:26:15] Speaker C: Oui, mais curieusement, on oublie. Je ne pars pas tous les trois mois me confronter à des situations catastrophiques. Je le sais que ça existe. Moi aussi, il y a des jours où mon confort me plaît beaucoup et où, moi aussi, il y a des jours où, éventuellement, je vais me dire, ça, vraiment, je ne sais pas, la neige m'empêche de sortir de ma voiture ou bien je me suis mouillée les pieds. Moi aussi. Je ne vais pas jeter la pierre pour dire que je suis différente. Mais c'est sûr que j'ai tellement confronté cette réalité-là que j'ai une grande sensibilité quand même. [00:27:01] Speaker B: Puis, est-ce que vous pourriez nous parler de quelques-unes des difficultés que vous avez rencontrées en mission humanitaire dans les conférences, dans la conférence qu'on a vue, en fait, vous parliez de le matériel qui était limité. Comment vous vivez avec des enjeux comme ça? [00:27:17] Speaker C: En ce qui concerne le matériel, c'est assez facile parce que j'ai l'habitude. Puis les chirurgies qu'on fait sont des chirurgies de base. On est quand même bien équipé pour ce qu'on fait. Ce qui est difficile parfois, c'est de... mettons, je sais faire quelque chose, mais la mission a été déployée dans un objectif très particulier et ce type de chirurgie, on ne le fait pas. Et j'ai un patient qui pourrait bénéficier de cette chirurgie-là, mais je n'ai pas l'équipement. Donc là, en fait, il faut transférer le patient dans un autre hôpital. Ça peut être très compliqué ou accepter qu'on ne va pas soigner le patient. Mais ça, c'est en lien avec l'organisation. [00:28:09] Speaker B: En fait, c'est la Croix-Rouge qui met des limites sur qu'est-ce qu'elle peut faire. [00:28:12] Speaker C: Exactement. Puis avec raison, parfois, parce que moi, je serais peut-être capable, mais la rééducation du patient, la prise en charge locale, les soins postopératoires pourraient peut-être complètement dépasser la structure. Et encore une fois, quand on accepte d'être déployé, on n'argumente pas, même si on pourrait peut-être enrichir certains équipements. Des équipements qui permettraient des pansements plus sophistiqués, qui raccourciraient la durée des soins, ce genre de choses. Mais ça, ça se passe pas sur le terrain. C'est quand on rentre, d'avoir accès à l'organisation, puis faire des propositions, des suggestions, défendre éventuellement une amélioration des soins. Mais sur place, faut vraiment l'accepter. Ce qui est très difficile, c'est d'être dans des situations où, mettons, je vais donner un exemple. Dans certaines cultures, il y a plus d'emphase qui est mise sur les petits garçons que sur les petites filles. Un petit garçon aura plus de chances de bénéficier de soins qu'une petite fille. J'ai reçu, lors d'un déploiement, une petite fille qui avait été accidentée. Un petit bébé, je ne me souviens pas, mais deux ans ou moins de deux ans. Elle avait une fracture ouverte de la cheville catastrophique. Et c'était une indication d'amputation. Il n'y avait rien à faire. Le pied était complètement délabré. Il tenait parce qu'il y avait encore un petit bout de peau qui tenait le pied de la petite fille. La petite fille était en choc. Et notre proposition à la famille était d'amputer cette petite fille. On avait accès à un handicap international. Et les parents, le père, a refusé. Parce qu'une petite fille amputée, quand bien même elle est appareillée, ça sera difficile pour elle. Elle aura de la difficulté à se marier. Et éventuellement, ça sera une charge pour sa famille. Le père a refusé, la mère était d'accord. On a demandé, ils ont voulu retourner chez eux. On a demandé aux bénévoles qui travaillaient dans le village de parler avec eux. On leur a montré ce que ça pouvait être des photos, de ce que ça pouvait être un appareillage. Et ils ont refusé. L'enfant est décédé. Elle aurait jamais dû décéder. Et ça, c'est incroyablement difficile à admettre, parce que ça aurait été un petit garçon. On l'aurait amputé. Puis on aurait accepté un petit garçon avec une prothèse. On n'acceptait pas une petite fille avec une prothèse. Et ça, c'est très dur. Très, très dur, parce que cet enfant est décédé dans des souffrances épouvantables. Puis c'était évitable. [00:31:32] Speaker B: Comment vous arrivez à... parce que ça doit être un fardeau énorme quand vous êtes... autant quand vous êtes en mission que quand vous revenez. Est-ce que vous pensez encore à ces moments-là ou vous vous mettez de côté? [00:31:44] Speaker C: Oh non, je ne mets pas de côté. C'est là où l'histoire du pissenlit devient un peu difficile. Mais c'est tous les jours que ça arrive. Moi, j'ai été témoin de quelques événements. Puis je pense que ça m'éveille à la réalité de certaines populations. Je peux rien faire. On est démunis. On sait que ça existe. Puis peut-être de le faire savoir, de savoir que certaines populations, certaines femmes vivent ça. Cette maman, elle aurait certainement souhaité que sa petite fille vive. Mais si je m'insurge, si je... perdre les pédales complètement, je vais être rapatriée, on va me renvoyer, Cox's Bazar, Dakar, Dakar, Boston, Boston, Sherbrooke, puis je repartirai plus. [00:32:46] Speaker B: Il n'y a personne qui est gagnante. [00:32:48] Speaker C: Absolument. Et j'ai pas vraiment de solution. Ce problème-là est bien plus grand que moi. C'est la réalité des femmes dans certaines cultures. Ça me dépasse complètement. Sur place, on est des équipes, même si on est des toutes petites équipes, on est quand même capables d'échanger, de débriefer ça, d'en parler, puis de repartir le lendemain en se disant, bien, on sauve des vies, pareil. [00:33:18] Speaker D: C'est intéressant de le voir comme ça, de vous dire que le problème est vraiment plus grand que vous. Parce que j'imagine qu'au début, ça doit être plus difficile. Puis il y en a qui ont peut-être envie de sauver tout le monde, puis qui ont une vision différente des choses. Mais c'est important de voir qu'au final, c'est mieux de se dire que... de respecter la neutralité que la Croix-Rouge donne. de faire du mieux que vous pouvez sans vous donner comme des trop grandes missions parce que ça serait beaucoup trop difficile psychologiquement de jamais arriver à votre but de sauver tout le monde. [00:33:57] Speaker C: Exact. Ceci dit, tous les événements auxquels j'ai pu assister ou que j'ai pu vivre sont marqués dans ma mémoire. Ce ne sont pas des choses qu'on peut facilement mettre de côté et se dire Bon, tout est beau. Dans ce monde-là, tout n'est pas beau, ni équitable. Mais tu sais, même à côté de chez nous, il y a des choses qui se passent qui sont vraiment pas équitables. [00:34:27] Speaker D: Puis est-ce que c'est déjà arrivé que vous ayez envie d'arrêter de faire des missions comme ça justement parce que c'était trop difficile, trop lourd ou vous avez encore le goût d'en faire après tout ça? [00:34:41] Speaker C: Pas pour ces raisons-là. Ce que je trouve actuellement très, très difficile, c'est la dangerosité. Actuellement, on le voit autant sur des terrains de guerre en Ukraine, en Haïti, en Israël, Gaza. Les missions humanitaires sont prises pour cible. Les médecins sans frontières a fermé momentanément sa mission en Haïti parce que le personnel d'une ambulance a été arrêté, le personnel a été menacé de mort, et Médecins sans frontières a fermé sa mission. Ça, c'est très, très difficile parce qu'on se met à risque physiquement, parce que c'est des menaces sérieuses, c'est pas du tout des menaces en l'air. Lorsqu'on entend que des travailleurs humanitaires sont tués, c'est souvent des travailleurs locaux. Parce qu'en fait, mettons, au sud de Liban, qui soudainement, cette région-là, se voit en plein conflit, les infirmiers, médecins locaux sont impliqués directement à soigner des victimes, des blessés, etc. Et eux sont en première ligne bien plus que nous. Mais actuellement, il y a un vrai changement. On le voit, c'est que même des humanitaires étrangers sont menacés. Puis ça, c'est le genre de choses, moi, qui me fait réfléchir. J'ai aucun goût d'aller confronter la mort pour toute bonne cause qu'elle soit. Donc, c'est plus ça que, bien, des différences culturelles qui viennent me... me frapper puis qui me font réfléchir. OK. [00:36:45] Speaker D: Parce que ça, avec le temps, vous avez appris à vivre plus avec ça, j'imagine. [00:36:50] Speaker C: Mais je vois le bénéfice quand même de ma présence quelque part. Tu sais, actuellement, au départ, je suis partie, je savais rien faire, je lavais des couches et je donnais à manger à des enfants. Aujourd'hui, je ne ferais pas ça. Parce que si je pars, je délaisse des patients. Donc si je quitte, c'est parce que je vais rendre vraiment service à un groupe de personnes. Mais pas au détriment de ma vie. J'en suis là. [00:37:20] Speaker D: OK, je vois. [00:37:23] Speaker B: Puis pour les gens qui nous écoutent, est-ce que vous auriez un conseil à leur donner pour quelqu'un qui veut s'impliquer en humanitaire? Pas nécessairement une mission purement avec des soins médicaux, mais quelqu'un qui veut se lancer. [00:37:37] Speaker C: Bien, directement en lien avec ce qu'on vient de dire, être très très très prudent, partir avec des organismes reconnus et surtout des organismes implantés sur le terrain. Les situations, n'importe où, sont très volatiles. C'est-à-dire que la situation peut changer du jour au lendemain. Si on n'est pas très implanté, si on ne connaît pas vraiment la situation sur place, on peut être pris au piège quelque part et se mettre en danger. Donc, connaître les organismes avec lesquels les gens sont déployés, pas partir sur un coup de tête. Puis, partir également avec un objectif bien défini. pas dire, ah ben, je vais aller passer mon été, aller au Ferci ou ça. Parce que, tu vois, j'ai en mémoire des étudiantes en médecine qui avaient été déployées comme externes dans une mission en Afrique. Puis, elles avaient été, en fait, confondues un peu dans leur rôle. Elles, elles étaient externes, c'est-à-dire, excusez-moi pour tous ceux qui vont m'écouter, mais elles ne savaient rien faire. Puis, sur place, elles se sont trouvées dans un dispensaire où on leur a donné plutôt des tâches de médecin. Puis, pour elles, c'était très difficile parce que je pense qu'elles l'ont dit. Non, non, non. Moi, je ne fais jamais ça chez moi, etc. Est arrivé un accouchement difficile, est arrivée une catastrophe où la maman est décédée, le bébé est décédé dans un accouchement épouvantable. Et en fait, très probablement sur place. On ne leur a pas mis aucune responsabilité. Et puis pour probablement sur place, il ne pouvait rien arriver d'autre. Il n'y avait aucun moyen ni de sauver maman, ni de sauver bébé. Et c'était très acceptable. Par contre, elles, elles se sont mis sur les épaules cette responsabilité d'avoir été incompétente et de ne pas avoir pu faire des soins qui auraient permis de sauver la maman et l'enfant. Et elles sont arrivées ici vraiment dans un état de stress, de culpabilité immense. Je ne sais pas comment on se remet de ça, honnêtement. Donc, il faut faire très attention, que les rôles soient très clairs. Moi, quand je suis partie la première fois, je l'avais des couches. puis je donnais à manger à des bébés. Mais juste ça m'a permis quand même de comprendre, d'évoluer, d'être à l'aise dans une culture différente, de me confronter à des choses différentes sans avoir aucune responsabilité. Donc, être très, très prudent. [00:40:48] Speaker B: Donc, ce qu'on doit retenir, c'est qu'on peut toucher, on peut légèrement se mouiller, mais pas complètement. Et à la fin, clarifier ses rôles et ce qu'on attend de nous finalement. [00:41:02] Speaker C: Oui, mais probablement ce que je dis, c'est sur place, c'était clair. On leur a probablement pas demandé d'agir ou quand bien même on leur a demandé d'agir, il n'y avait aucune attente. Mais ce sont elles qui... ont vraiment vécu ce drame au premier niveau. Puis c'était très difficile de revenir là-dessus, puis je ne sais pas aujourd'hui c'est quoi leur ressenti par rapport à ça. Mais bref, ne jamais se mettre dans une situation dans laquelle on ne comprend pas la situation générale locale qui peut déraper en deux minutes et où on se place en situation de faire des choses qu'on ne maîtrise pas. Parce qu'on va revenir avec ce poids-là qu'on va porter toute notre vie. [00:42:00] Speaker D: C'est vraiment des bons conseils qui, je pense, vont vraiment pouvoir bénéficier à tous les étudiants et étudiantes qui vont écouter le podcast. Donc, sur ce, là, ça ferait pas mal. Bien, l'épisode tiendra à sa fin. Donc, on voulait vraiment vous remercier encore une fois, Docteur Mezia, d'être venu participer à l'épisode. Puis, également, l'équipe de l'AWS vous remercie grandement. [00:42:23] Speaker C: Merci. Merci. [00:42:29] Speaker A: Je pense que c'est vraiment unanime que c'était vraiment une conversation intéressante et enrichissante pour tout le monde. On voulait encore une fois remercier Dr Mizial d'avoir participé à notre podcast, puis aussi remercier le Comité d'intérêt en santé mondial. Restez à l'affût pour nos prochains épisodes qui vont arriver aussi sous peu. On espère que vous avez apprécié notre épisode. [00:42:51] Speaker C: Merci.

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